jeudi 10 mai 2012

Critique du POURSUITE 2

- Textes de Antonia Birnbaum, 2010

« Doit-on ou ne doit-on pas faire simplement une unique chose à la fois ? » demande Fan Cheng. Il pose cette question pour le processus créateur, mais son hésitation vaut autant pour le spectateur de son travail. Des dessins, souvent de petit format, accrochés en série, en dyptique, ou seuls. Déjà, de loin, on aperçoit que le vide y est tout aussi présent que les éléments de représentation. Mais il n’y a là aucun privilège de la méditation. Fan Cheng s’emploie autant à agencer un certain calme qu’à le briser.
Montagne et Fleuve : au centre d’une feuille précieuse de papier, une image miniature de paysage issue de la peinture traditionnelle chinoise; chacun la reconnaît. Au-dessus, un peu à gauche, une soucoupe volante qui semble proportionnellement trop petite par rapport au paysage. Mais cette impression est déjà un effet d’absurde ; car quelle serait donc la bonne proportion entre une soucoupe volante et un paysage? La soucoupe accompagnée de son jet de propulsion déloge le dessin de tout plan de comparaison, et nous avec. Ce point d’intensité reste pourtant léger, un « choc délicat ». Un autre dessin campe une femme chinoise sur une feuille de lotus, la position de ses bras évoquant immanquablement la Vénus de Botticelli. Un autre encore montre la faucille et le marteau, retransformés en objets d’usage.



     Montagne et Fleuve, 2008, 50x50cm, aquarelle et crayon sur papier

Plutôt que de jouer avec les codes culturels, Fan Cheng mène ce jeu jusqu’au point où il se dissout dans l’absurde. Pour lui, les contradictions culturelles sont moins une question idéologique ou un ancrage originaire qu’un matériau artistique à emporter plus loin, vers cette zone de désidentification où le vide n’appartient pas plus à telle tradition qu’à telle autre, où des soucoupes croisent des conventions ancestrales, où les sensations se détachent de leur fardeau référentiel…
Guerres, conflits à petite échelle, presque indiscernables : les contours d’un avion étrange aux ailes cassées s’évanouissent dans la surface du papier. C’est une première menace virtuelle, suivie de cet autre dessin, une menace onirique cette fois, cheveux gonflés ou explosion, propagation inquiétante. Des avions de chasse en papier plié gisent au sol, une catastrophe en origami qui porte le titre Aujourd’hui, on n’a pas de chance… La violence du monde se mêle au petit, l’humour vire au noir.

   Aujourd’hui, on n’a pas de chance, 2009, installation (détail)

Mesurer la vérité. Amitié 1, 2, 2010. Deux papiers Canson millimétrés accrochés côte à côte. Sur la partie gauche du premier, une main tient une autre, qui en tient une autre, tel un cordage mené jusqu’au bord blanc du papier ; l’enchaînement reprend sur l’autre feuille pour s’interrompre brusquement en un poignet tranché. À regarder le mouvement, l’attention se déplace ; le vide de ces dessins apparaît comme encadrant cet autre vide qu’est l’espace du mur entre les papiers.
Contrastes, déflagration d’énergie, dispersion inattendue des éléments ; confronté à ces éclatements du petit, le spectateur ne parvient jamais à se concentrer sur « une unique chose ». Non seulement l’intervalle le plus banal est incommensurable, non seulement il n’est jamais là où l’on croit, mais en outre il refuse de se laisser figer en quelque esthétisation que ce soit…                       
                                                                         
  Mesurer la vérité. Amitié - L'homme et la bête 1, 2.   2010,  21x29,8cm x2
  crayon et fusain sur papier milimètré

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